W ou le souvenir d’enfance
Auteur : Georges Perec
Date de publication : 1975
Genre : Roman autobiographique et fiction dystopique
Thèmes principaux : mémoire, enfance, identité, Shoah, sport, totalitarisme
Qui est Georges Perec ?

Né en 1936, il a vécu les horreurs de la seconde guerre mondiale dans sa petite enfance. Orphelin de ses parents, sa mère décède au camp de Auschwitz, il sera élevé par sa tante dès 1945. On lui prête son premier roman (nouvelle) à 20 ans. L’ensemble de son œuvre n’est pas « étiquetable » Ne serait-il pas logique de le qualifier de « performeur » ou de testeur de style ? Le Péréquisme ?
Perec est unique comme tous les véritables écrivains. Son truc, c’est de ne jamais écrire le même livre à tous les niveaux (style, histoire). Voyez un peu la différence avec des auteurs qui se disent « écrivains » comme Michel Bussi qui ne connait pas le concept de l’innovation. L’homme est avant tout un écorché de la vie. Il projette dans son style littéraire une créativité sans retenue jouant même avec les mots jusqu’à se donner des défis . Il a tout perdu dès l’enfance. Dès lors, il n’a aucune retenue et il va l’écrire sans vulgarité, sans méchanceté mais avec une énergie littéraire qui transforme chacune de ses œuvres en livre de chevet.
Contexte historique et littéraire
Perec écrit ce livre à une époque où la mémoire de la Shoah émerge davantage dans la littérature (après les œuvres de Primo Levi, par exemple). Il adopte une démarche moderne : mélanger autobiographie et fiction, jouer sur les discontinuités, refuser le récit linéaire. Il anticipe les débats contemporains sur la mémoire individuelle face à la mémoire collective.
W ou le souvenir d’enfance
Voilà un roman étonnant. Le livre alterne deux récits enchevêtrés. Les deux histoires se rencontrent, s’effleurent, se répondent constamment. L’une est autobiographique, l’autre est imaginaire. Ainsi, un chapitre sur deux est consacré à l’une des histoires. L’une apparait en écriture habituelle, l’autre en italique afin de marquer la différence.
Dans le récit autobiographique, Perec part dans la reconstruction de ses souvenirs d’enfance autour de ses parents qu’il a perdu très jeune pendant la seconde guerre mondiale. Affirmant au départ qu’il a tout oublié de ses premières années, il va s’engager dans une quête de ces époques effacées. Peu à peu, il délivre des scènes brumeuses dans son esprit qui prennent forme. Perec insiste sur Imperfection, le silence et l’oubli. Il tente de se rappeler et parfois ca marche par bribes. Le récit sur enfance est fragmentaire : Perec avoue lui-même que sa mémoire lui joue des tours le laissant parfois dans la brume. D’ailleurs, Il remet en question ses propres souvenirs : “Je ne sais pas si ce que j’écris est vrai ». La structure même du récit reflète une mémoire brisée par le traumatisme de la perte de ses parents.
Puis il y a le récit fictif : l’histoire de « W ». Il s’agit d’une fiction apparemment inspirée d’un texte que Perec a écrit à 13 ans. On y suit un garçon dans un monde imaginaire nommé W, une île régie par les règles absolues du sport de compétition. Mais ce monde se révèle de plus en plus cruel, injuste et totalitaire, pour finalement apparaître comme une métaphore des camps nazis. Au départ, on pense à une utopie sportive étrange. Très vite, on découvre un univers basé sur la soumission, l’arbitraire, la cruauté, les punitions collectives. Le sport devient un outil de domination, et le système, une allégorie du camp de concentration. Cette fiction est un complément à ce qu’il ne peut affirmer dans l’autobiographie.
Les Thèmes majeurs
Mémoire et oubli : L’un des fils conducteurs. Perec montre qu’il est difficile de “dire” son passé, surtout quand il est traumatique.
Enfance volée : Il évoque ce que la guerre lui a enlevé – l’insouciance, les repères, les parents.
Shoah et déportation : Présentes en creux, jamais décrites frontalement. L’horreur passe par le symbolisme.
Langage et fiction : Perec joue avec la forme, entre récit autobiographique et allégorie. Il interroge la capacité du langage à rendre compte de l’indicible.
Personnages principaux
Le “je” du narrateur : Georges Perec lui-même, qui cherche à se souvenir, à se reconstituer par fragments.
Gaspard Winckler : Nom donné au personnage du récit fictif (également utilisé par Perec dans La Disparition). Il devient un double fictionnel du narrateur.
Les dirigeants de W : figures anonymes, inhumaines, incarnant le totalitarisme et la logique concentrationnaire.
Citations clés
“Je n’ai pas de souvenirs d’enfance.” Elle annonce l’axe du roman et son ambivalence.
“Il n’y a pas de fiction qui tienne face à ce que furent les camps.” Perec reconnaît les limites de l’écriture avec l’horreur du vécu.
“Les règles sont fixées, puis transgressées, puis ignorées.” Propos du monde de W : reflète l’arbitraire des régimes totalitaires.
Mon avis
Un livre difficile au premier abord est captivant au fur et à mesure de sa lecture. Il est d’une intensité bouleversante. Perec ne livre pas de réponses, mais pose des questions essentielles sur la mémoire, le traumatisme, l’écriture. L’alternance des deux récits rend la lecture exigeante, mais très riche. C’est selon moi un chef-d’œuvre.
Ce livre m’a touché dans les thématiques abordées. J’ai été moi-même touché directement par l’horreur des camps nazis. Un de mes grands-pères fut interné 5 ans au camp de Buchenwald. Je l’ai toujours connu affublé d’un corset. Telle une armure, il servait à tenir son squelette mis en miettes par les traitements immondes reçus là-bas. Il dormait dans un lit spécial. Une planche de bois d’une forte épaisseur faisait guise de sommier. Sinon, il était impossible pour lui de dormir… ou alors par terre ! J’avais 10 ans lorsqu’il mourut. C’est bien plus tard que je compris l’horreur de ces 5 années passées, au travers de différents documentaires.
C’est l’ouvrage de Perec qui me permit réellement d’associer la vie de mon grand-père avec l’atrocité des camps.
W ou le souvenir d’enfance m’a fortement bouleversé. Ce livre a ouvert l’ensemble de ma curiosité à tout connaître du nazisme et de « l’inhumanisme » dont l’être humain est capable.
Je suis passionné par le travail de Perec. J’ai pratiquement tout lu de ce qui fut édité de cet auteur. » W ou le souvenir d’enfance » est l’ouvrage que j’ai le plus relu dans mon existence.
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